Casas para viver /Ou l’insoutenable crise du logement au Portugal

Casas para viver /Des maisons pour habiter Ou l’insoutenable crise du logement au Portugal – publicabo por Cristina Semblano, economista e antiga dirigente do Bloco de Esquerda em https://www.revuepolitique.fr/

Parmi les multiples problèmes auxquels se trouve confronté le peuple portugais, celui du logement occupe une place de premier plan. C’est ainsi que le samedi 30 septembre des milliers de manifestants ont, une fois de plus, arpenté les rues de la capitale et de plusieurs villes, du nord au sud du pays, à l’appel de la Plateforme “Casas para viver” (Des maisons pour habiter), cherchant  ainsi à se faire rappeler au bon souvenir du gouvernement, dont les récentes mesures sont jugées insuffisantes, voire inefficaces.

 

C’est qu’au Portugal, la crise du logement est criante : dans un pays qui ne compte guère plus de 10 millions d’habitants, plus de 1 million habite dans des « casas comuns » (logements partagés), et 25% occupe des logements insalubres (2020) 1 , tandis qu’à la faveur des expulsions, s’accroît le nombre de sans-abri (+78% en 4 ans) 2,  et qu’«à Lisbonne on n’a jamais vu autant de tentes », selon Rita Valadas, la présidente de l’association caritative Cáritas Portugal.

Pour les tenants d’une vision libérale, le problème du logement, qui se manifeste par les difficultés insurmontables à se loger, est du côté de l’offre. Il faudrait construire plus, pour répondre à la demande. Or, au Portugal comme partout ailleurs en Europe, la construction de logements suit la croissance du nombre de ménages, depuis une dizaine d’années. Ainsi, base 100 en 2011, le nombre de logements est passé à 101.8 en 2021, accompagnant ainsi, à peu de choses près, l’évolution des foyers, dont l’indice est passé, dans la même période, à 102.6 3.

La situation n’est pas très différente de celle de l’UE, où base 100, en 2012, l’indice du nombre de logements est passé à 104.1 en 2020, tandis que celui du nombre des ménages passait à 102.5. Mais si la relation entre les deux grandeurs est à peu près équivalente dans les deux géographies, il n’en va pas de même de l’indice des prix des logements passé entre 2012 et 2020 de 100 à 126.9  en UE, contre 100 à 199.6 entre 2011 et 2021 au Portugal 4

C’est dire que si la déconnexion du niveau des prix par rapport à la demande se vérifie dans les deux géographies, il est sans commune mesure au Portugal, où la montée des prix (et partant des loyers)  est vertigineuse et encore plus déconnectée du revenu des ménages.

Comme le fait noter le géographe Nuno Serra, on ne peut expliquer cet état de choses si l’on n’admet pas qu’ « il existe aujourd’hui de nouvelles demandes de logement, de nature éminemment spéculative, qui le considèrent comme un actif financier, un objet d’investissement, et non sous l’angle de la fonction résidentielle (et tant qu’on y est, sociale)» 5.

Tout en n’étant pas spécifique au Portugal, cette nouvelle dimension du logement a pris dans ce pays un poids démesuré. Soumis, mi-2011, à une forte austérité budgétaire, dans le cadre du Mémorandum de la Troïka (CE – BCE – FMI)6  le Portugal a multiplié les bénéfices fiscaux pour attirer les capitaux étrangers, lesquels se sont massivement orientés vers le secteur immobilier suivant en cela la tendance générale des capitaux à la suite de la crise financière internationale.

Comme conséquence de ces bénéfices fiscaux, allant des Visa gold crées en 2012 au Régime Fiscal pour Résidents Non Habituels (RRNH) en vigueur depuis 2009, le nombre de visas de résidence est monté à 11 300 les dix dernières années, correspondant à un investissement total de 6,6 millions d’euros dont 90% s’est orienté vers l’acquisition d’immeubles : le nombre de ces derniers est passé de 6.902 en 2012 où il a représenté 4.5% du total d’acquisitions, à 19 520 en 2019 (8.5%), si bien que ces mesures n’épuisent pas l’ensemble de celles promues pour attirer le capital extérieur 7.

Si cet état de choses a renforcé la crise du logement, celle-ci a acquis une dimension plus dramatique avec la crise inflationniste et la montée des taux d’intérêt censée la combattre, eu égard à l’évolution négative des salaires réels et son corollaire la perte de pouvoir d’achat des ménages dans un pays où le niveau des salaires figure parmi les plus bas d’Europe, comme l’atteste notamment la valeur du salaire minimum (760 euros sur 14 mois, en 2023), échouant à plus de 1/5 des salariés si bien que plus de la moitié de ces derniers (56%) gagne moins de 1 000 euros.

Dans ces conditions, il serait légitime d’attendre du gouvernement socialiste portugais des mesures fortes pour diminuer l’impact de la crise du logement, aussi bien au niveau des ménages propriétaires de leur logement (76% du total) qu’à celui des ménages locataires : ces derniers ont vus les loyers monter de 30% pendant la  dernière décennie (40% dans la dernière année) à la faveur de la libéralisation du marché de la location, et de l’orientation de l’offre vers le capital étranger et le tourisme qui a soustrait au marché national les logements canalisés vers les locations de courte durée (AirBnb).

Mais au lieu de répondre à l’aggravation de la crise, le gouvernement a, au contraire, persisté dans sa politique de concession de bénéfices fiscaux au capital étranger : en octobre 2022, il a créé les visas pour nomades digitaux destinés à des jeunes actifs ayant un fort pouvoir d’achat,  lesquels pourront bénéficier d’une autorisation provisoire de résidence s’ils exercent une activité professionnelle pour une entité dont le siège social est hors du Portugal.

Selon Fernando Medina, le ministre des Finances portugais, apôtre des « contas certas » (comptes rigoureux) et, par-delà, des excédents budgétaires, « Le Portugal ne peut ignorer aucun élément de compétitivité pour attirer du capital, de la capacité productive, des cadres qualifiés, des revenus ». Le ministre défend même, « une harmonisation fiscale beaucoup plus avancée », semblable à celle pratiquée dans les pays de l’Europe de l’Est, soit, un taux d’imposition de 15%)» 8.

Selon InvestPorto 9, le nombre total d’arrivées de nomades digitaux en 2022 pourrait être de 145 000 à Lisbonne et 40 000 à Porto, ce qui représenterait une augmentation de respectivement 95% et 129% face à 2021. Outre la pression accrue exercée par ces non-résidents  sur la valeur des loyers, et la poursuite du processus, déjà avancé,  de gentrification des villes, ces derniers risquent de soustraire des milliers de logements (185 000 en 2026 selon les prévisions) au marché national contribuant ainsi à aggraver davantage la crise de l’habitat 10.

Le prix à payer pour « gagner » des résidents étrangers est la fuite accrue vers l’étranger des jeunes portugais ne trouvant pas à se loger. Ainsi, un sondage récent 11  indique que la moitié des jeunes entre 18 et 34 ans a l’intention d’émigrer. L’instabilité financière (65% des jeunes ont un salaire inférieur à 1000 euros), et le problème de l’accès au logement, qui lui est corrélée, sont parmi les préoccupations principales. A noter que le Portugal est, par ailleurs, le pays de l’UE où les jeunes restent jusqu’à plus tard chez les parents.

Face à cette situation, les mesures que le gouvernement a prises sont considérées insuffisantes par ceux qui arpentent les rues des villes du pays pour réclamer des maisons, pour y vivre, pas pour spéculer. Allant de la location obligatoire des logements vacants, de préférence à l’initiative des propriétaires, à diverses incitations fiscales adressés à ces derniers  pour qu’ils mettent leur bien en location, ces mesures prennent notamment comme référence les loyers en vigueur, ceux qui rendent précisément le fait que, au Portugal,  « louer un logement ressemble à une mission impossible » [12; Imovirtual, cité par LAVADINHO, R., op.cit.]

Pour l’économiste et chercheuse Ana Cordeiro dos Santos, coordinatrice de l’ouvrage A nova questão da habitação em Portugal 12 « l’efficacité des mesures incitatives du gouvernement, pour autant que ces dernières sont multiples et variées, n’est pas garantie.  En effet, « les coûteuses incitations fiscales  à l’achat de logements destinés aux résidents non habituels et à l’attraction des nomades digitaux constituent toujours  une alternative alléchante au marché de la location ». Or, « la logique du marché cherche toujours la voie qui lui procure davantage de profit » 13.

Il en va de même de la mesure visant l’introduction de taux fixes  dans le crédit immobilier, très utile en soi, dans un pays où la majorité écrasante des prêts immobiliers (87%)  est à taux variable, mais il s’agit d’une mesure dont l’application dépendra, comme le fait noter la même auteure, des conditions qui seront définies par les banques, ce qui l’amène par ailleurs à parler d’un État otage du marché.

Cette centralité du marché s’explique par l’existence d’un parc public résiduel : en effet, sur les 6 millions de logements que compte le Portugal, seuls 120 000 sont des logements sociaux, soit 2%, contre 9%  en moyenne dans l’UE à 15, et 16% en France, 17% au Royaume-Uni ou 29% aux Pays-Bas 14.

Venue de plus loin, et accéléré par l’adhésion du Portugal à la zone euro à la faveur de la baisse des taux d’intérêt et au choix politique de favoriser le secteur bancaire en lui offrant le marché du crédit hypothécaire 15 , cette centralité du marché va s’accentuer considérablement avec l’intervention de la Troïka en 2011, et les politiques d’austérité associées au Mémorandum  et ayant persisté de façon quasi obsessionnelle depuis, politiques tendant à colmater le manque criant d’investissement public 16 par l’appel aux capitaux étrangers.

C’est dire que la résolution de la crise du logement au Portugal est indissociable de la remise en cause de son modèle économique.

(Texto enviado à Rádio Alfa pela autora – ler na íntegra em https://www.revuepolitique.fr/)

 

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