« Salazar a cultivé de son vivant la rhétorique de l’invisibilité et la volonté d’être masqué » – Yves Léonard

Yves Léonard, historien

António de Oliveira Salazar, figure méconnue et singulière, a régné sur le Portugal de juillet 1932 à septembre 1968. Yves Léonard, historien et enseignant à Sciences Po Paris, publie Salazar, le dictateur énigmatique aux éditions Perrin : la première biographie universitaire en France, sur le moine-dictateur portugais.

Entretien avec Didier Caramalho dans l’ALFA 10/13 du 23 avril 2024 :

 

Né en 1889, António de Oliveira Salazar accède au pouvoir en 1928 en tant que ministre des Finances, avant d’être adoubé par les militaires comme président du Conseil en 1932. Il met alors en place la dictature de l’Estado Novo (l’Etat Nouveau, en français) avec l’aide de la PIDE (Police Internationale et de Défense de l’Etat) et de la censure. Salazar a insufflé dans son État autoritaire une pensée qui prône le retour à la terre, la foi en Dieu, le respect des traditions, l’ordre et le travail : l’Église, la hiérarchie militaire et le patronat étaient ses trois principaux soutiens – et pas des moindres.

En août 1968, après 36 années au pouvoir, Salazar tombe de sa chaise. Littéralement. Blessé sans gravité, il est ensuite admis à l’hôpital et l’on constate alors qu’il souffre d’une hémorragie cérébrale. Plus tard, victime d’un AVC, le dictateur est écarté implicitement du pouvoir et remplacé par Marcelo Caetano. Floué par une mise en scène bien orchestrée, Salazar pense toujours être le président du Conseil et personne n’osera jamais lui avouer la vérité. Il est le personnage principal d’un théâtre d’ombres. António de Oliveira Salazar mourra dans le Palais de São Bento, le 27 juillet 1970. Son régime lui a survécu avant de s’effondrer, le jeudi 25 avril 1974, avec la Révolution des Œillets.

Universitaire mal à l’aise en public mais excellent dans les face-à-face individuels, personnalité glaçante et misanthrope, implacable et ductile, notamment sur la scène internationale, Salazar s’est montré maître dans l’art de durer et de se présenter comme providentiel (le salazarisme s’inscrivant dans la tradition du sébastianisme, autrement dit l’attente infinie d’un sauveur).

Salazar, le dictateur énigmatique. Perrin, 528 p., 26 €
Yves Léonard | Salazar, le dictateur énigmatique. Perrin, 528 p., 26 €

Salazar, le dictateur énigmatique (éditions Perrin) est la première biographie universitaire en langue française sur le « moine-dictateur », « marié à la Nation portugaise » comme aime à dire l’endoctrinement salazariste. Cette biographie met en lumière les vies parallèles du dictateur, celles que la propagande ne relate pas : en se penchant de près sur ses origines relativement modestes (le dictateur déclare en 1949, « je dois à la Providence la grâce d’être pauvre »), sur son parcours universitaire, ses cercles relationnels et sa vie privée, Yves Léonard retrace l’itinéraire d’un homme ambitieux qui a su habilement se dissimuler pour diriger comme il l’entendait.

Salazar, le dictateur énigmatique (éditions Perrin) d’Yves Léonard est déjà un livre de référence. C’est donc en compagnie de l’historien, auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire contemporaine du Portugal, que l’ALFA 10/13 redessine le portrait du dictateur portugais – jusqu’aujourd’hui fantasmé.

Didier Caramalho

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