Au Portugal, requiem pour l’union de la gauche
Le Premier ministre socialiste António Costa a été mis en minorité au Parlement par les communistes, les verts et les anticapitalistes qui soutenaient son gouvernement depuis 2015. Des législatives anticipées se dessinent pour le début 2022.
La geringonça a vécu. Ce terme, traduisible par «bidule» ou «machin», désignait le pacte noué par le Parti socialiste avec les communistes, les verts et les anticapitalistes du Bloco de esquerda (Bloc de gauche), pour soutenir le Premier ministre António Costa. C’est un député du CDS (droite) qui, doutant de la solidité d’une telle alliance, avait parlé, ironiquement, de bidule. L’expression est restée, d’autant que l’union de la gauche à la portugaise a démenti les augures et duré six ans.
Elle a pris fin mercredi avec le vote de la loi de finances 2022 par le Parlement. Ni le CDU (la Coalition démocratique unitaire, rassemblant communistes et écologistes) ni le Bloc de gauche n’ont soutenu cette fois-ci le chef du gouvernement socialiste. L’issue quasi certaine est la convocation d’élections législatives anticipées, probablement en janvier. António Costa a cependant exclu de démissionner et mènera la bataille des urnes comme chef de file du PS.
La parole est désormais au président de la République, le conservateur et très populaire Marcelo Rebelo de Sousa, qui n’a pas caché qu’il userait de son pouvoir de dissolution en cas de blocage institutionnel. «Si l’Assemblée n’est pas en mesure d’adopter un budget fondamental pour le pays, il serait positif de rendre la parole aux Portugais», a-t-il insisté mercredi. Il doit rencontrer à partir de samedi les chefs des principaux partis avant d’annoncer sa décision.
Divisions autour des fonds européens
António Costa était arrivé au pouvoir en novembre 2015 à la faveur d’une union de la gauche sans précédent dans le pays, où socialistes et communistes se sont longtemps affrontés. Mais le Portugal était exsangue après des années de sacrifices consentis en échange du plan de sauvetage international accordé en 2011. Les communistes et la gauche radicale avaient accepté de soutenir le PS, sans entrer au gouvernement, pour tourner la page de l’austérité.
L’union de la gauche a commencé à se fissurer dans la foulée des élections de l’automne 2019, largement remportées par les socialistes avec 108 sièges sur 230. António Costa s’est alors dispensé de négocier de nouveaux accords avec la gauche radicale, préférant chercher à obtenir leur soutien au cas par cas. Il y a un an, le budget 2021 a été adopté de justesse grâce à l’abstention de la coalition communistes-verts et des quatre élus du PAN, le parti animaliste. Mercredi, l’abstention s’est transformée en vote contre.
L’enjeu principal du budget 2022 est l’utilisation des fonds européens alloués dans le contexte de la crise sanitaire. Pour la gauche radicale, ils doivent servir non seulement à relancer la machine économique, mais aussi profiter aux services publics et améliorer le pouvoir d’achat. Faute d’engagements d’António Costa dans ce sens, ses alliés l’ont lâché.
Lueur d’espoir pour les conservateurs
La manœuvre est risquée. Les socialistes pourraient améliorer leur résultat de 2019, voire atteindre la majorité absolue, en raison de l’image positive du Premier ministre. Costa et son gouvernement sont crédités d’une gestion efficace de la pandémie, et surtout d’une campagne de vaccination citée en modèle à travers le monde : 98% de la population de plus de 12 ans a reçu le schéma vaccinal complet au 25 octobre, alors que la France plafonne à 76%.
Quant à la droite traditionnelle, elle se raccroche à une lueur d’espoir : l’élection surprise du conservateur Carlos Moedas comme maire de Lisbonne en septembre. Un revers personnel pour António Costa, qui a dirigé la capitale entre 2007 et 2015. Mais la menace principale viendra de l’extrême droite, avec la montée en puissance du parti Chega («Ça suffit»). Aux législatives de 2019, le nouveau venu populiste totalisait 1,3% des voix et faisait élire député son chef de file, André Ventura. Le même qui, au soir de la présidentielle de janvier 2021, frôlait les 12%.