Dans Le Défi de gouverner (éditions Perrin), François Hollande retrace l’histoire de la gauche, de l’affaire Dreyfus (1894) à nos jours. C’est la première fois qu’un ancien chef de l’Etat revient, dans une perspective d’historien, sur l’œuvre politique, sociale et sociétale de sa famille politique.
François Hollande a accordé un entretien exclusif à Didier Caramalho. C’était le lundi 28 octobre 2024, un entretien enregistré dans le cabinet de l’ancien président de la République pour l’ALFA 10/13 :
Le Défi de gouverner, la gauche et le pouvoir de l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours (Perrin), pourrait s’apparenter à un simple manuel d’histoire politique. Pourtant, il est bien plus que cela. D’abord, l’ouvrage résonne comme une apologie de la social-démocratie : à travers cet essai, François Hollande explore les ambitions, les faiblesses, les réussites et les défaites de sa gauche dans l’exercice du pouvoir. Autrement dit de la gauche de gouvernement, de la gauche du compromis, de la gauche réformiste face à la gauche dite d’opposition, la gauche radicale, la gauche « insoumise » selon les mots de l’ancien président. Dans Le Défi de gouverner (Perrin), François Hollande exhume l’histoire pour rendre sa fierté à sa gauche et lui rappeler sa pertinence actuelle. Que serait la France aujourd’hui si sa gauche n’avait jamais eu le courage de gouverner ? Voilà la thèse centrale du Défi de gouverner (Perrin).
L’objectif de François Hollande est en apparence celui-ci : réaffirmer l’importance de la social-démocratie – comme compromis entre les aspirations citoyennes pour une vie meilleure et les difficultés du réel – dans une époque où les extrêmes gagnent du terrain. Qui dit social-démocratie dit inévitablement compromis. « Le compromis est lié à l’exercice même du pouvoir. […] Il s’agit de l’espérance portée par un gouvernement de gauche et de la confrontation avec la réalité. […] Le compromis n’a rien à voir avec la compromission, le mensonge » assure François Hollande.
En défendant ainsi l’importance du socialisme français dans l’histoire de la gauche, l’ancien président s’attaque en filigrane à la gauche incarnée aujourd’hui par La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. À rebours de la gauche radicale, François Hollande martèle qu’avant « de faire une pause, un mouvement de recul ou de contournement, la gauche obtient des victoires » ; autrement dit, que pour obtenir des acquis, la gauche doit accepter le jeu de la mondialisation et du libéralisme. Serrer les dents patiemment pour avancer sûrement.
L’éléphant du PS qui veut peser de nouveau dans l’arène politique
François Hollande cherche certainement à s’imposer au cœur du débat public actuel. Huit ans après avoir annoncé se retirer de la course à l’élection présidentielle de 2017, la publication du Défi de gouverner (Perrin) intervient à un moment-clé : le PS d’Olivier Faure, affaibli, semble lutter pour sa place face au radicalisme de LFI. François Hollande (réélu député de la 1ère circonscription de Corrèze en juillet 2024) propose, à travers un essai d’histoire, une réflexion pour refonder la gauche et suggère qu’une gauche réformiste, capable de proposer des solutions pragmatiques, pourrait regagner la confiance des Français et contrer les extrêmes – entendez : affaiblir et discréditer la gauche mélenchoniste et redorer le blason de la gauche socialiste ! Pour cela, il a revêtu le costume de député.
Je suis redevenu député parce qu’il y avait un danger d’extrême-droite. Je crois que mon réinvestissement dans la vie parlementaire peut contribuer à rehausser la gauche de gouvernement, la gauche réformiste.
Et la méthode semble fonctionner : peu à peu, François Hollande retrouve une position centrale au sein de la gauche. Au point qu’il peut même se permettre de souhaiter « une nouvelle figure pour diriger le Parti Socialiste » (a-t-il déclaré au micro de France Info et LCP le 7 octobre dernier) et envisager une candidature à l’élection présidentielle de 2027. François Hollande veut rebattre les cartes et reprendre à son avantage le créneau social-démocrate en France ; exit Olivier Faure, Raphaël Glucksmann, Karim Bouamrane, Gabriel Attal…
Avec Le Défi de gouverner (Perrin), l’ancien président espère redonner de la force à une gauche socialiste qui peine à s’imposer. Après avoir anémié le PS avec la fin de son mandat, François Hollande cherche maintenant à lui donner un nouveau souffle.
Le premier pas d’un marathon : du Défi de gouverner à l’Elysée ?
Cet essai est ainsi bien plus qu’un simple livre d’histoire, c’est un livre de début de campagne. L’ancien président a habilement converti l’ouvrage (initialement pensé par Benoît Yvert, directeur des éditions Perrin, comme un livre-hommage au centenaire du Cartel des Gauches) en un manifeste prospectif pour l’avenir de sa famille politique. C’est un acte de mémoire, mais aussi un appel aux électeurs désireux d’une gauche ambitieuse, prête à exercer le pouvoir de manière réaliste. Retrouver dans le passé les appuis du futur. Convoquer les fantômes de Pierre Waldeck-Rousseau, Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès-France, François Mitterrand et Lionel Jospin pour s’inscrire définitivement dans l’Histoire – avec un grand H.
En somme, Le Défi de gouverner (Perrin) est un premier pas fondamental dans la course que François Hollande s’apprête à courir : il cristallise les ambitions de l’ancien chef de l’Etat de jouer un rôle actif dans le renouveau de la gauche française et de défendre une vision de la social-démocratie comme une manière crédible d’exercer le pouvoir de façon durable.
Didier Caramalho